CONFERENCE Ernest LE BARZIC en Français

Par Thierry CHATEL

Texte de la conférence en français de Thierry Châtel sur la vie et l’œuvre d’Ernest Le Barzic, effectuée le 17 juillet 2021 dans le cadre des festivités du Gorsedd Digor de Mur-de-Bretagne.

Bonjour à tous. Je remercie Le Grand-Druide /I\ Morgan, Pêr-Vari Kerloc’h de m’avoir confié une belle mission : donner un aperçu de la vie et de l’Oeuvre d’Ernest Le Barzhig, connu aussi sous son nom de druide : Roh-Vur.

Un grand merci à M. Hervé Le Lu, Maire de la Commune de Guerlédan, de mettre à notre disposition cette belle salle, à Manue et Hervé Saguet pour leur soutien.

Mille mercis à Madame Annaig Le Barzhig, fille de l’écrivain, à M. Yvon Abiven, ancien député, gendre d’Ernest Le Barzic et à M. le docteur Dominique Hueber, fils d’un grand ami de Roh-Vur, qui m’ont aidé à glaner de précieux souvenirs et des documents.

Je me suis lancé dans cette étude avec joie, voulant savoir qui était l’auteur du livre que j’ai le plus lu et relu, Buhez ha faltazi, cet écrivain qui aida celui qui deviendrait mon directeur de thèse, le formidable professeur Pêr Denez. Je voulais savoir qui était Ernest Le Barzic, avec qui j’ai échangé quelques mots un jour où je cherchais, sur un sentier de Mur de Bretagne, la frontière linguistique !

Ouvrons cette conférence par son titre :

ROH-VUR, UN EXEMPLE POUR LES DRUIDES, LES BRETONS, ET POUR TOUT HUMAIN ASPIRANT A l’HUMANISME

Je vais structurer mon intervention autour des qualités d’Ernest le Barzhig.

Il me faut faire connaître son beau chemin de vie, ainsi que la grande valeur et la diversité de ses productions littéraires et même, inciter les non-bretonnants de notre assistance, à apprendre le brezhoneg pour lire l’Œuvre complète de Roh-Vur ! 

Ernest ar Barzhig se plaisait à dire qu’il naquit en Bretagne à Kaouenneg (le 4 mai 1917) mais.qu’il avait été conçu en France à Toulon, car c’est dans ce port que sa mère retrouvait son père – sous-officier dans la marine – pendant leur première année de mariage.

ENFANT, Nestig connaissait le sens de son patronyme, depuis qu’un prêtre lui en avait donné la traduction. Curieusement, cet enfant a déjà en lui des qualités de Barzic, de petit Barde, voire de petit druide. Doué, il a déjà une soif incroyable de comprendre son environnement naturel et humain. Nestig vivait dans une maison bilingue ! Son père parlait le plus souvent en français mais s’exprimait aussi en breton de la Roche-Derrien, émaillé de mots de l’argot des couvreurs et chiffonniers, le tunodo. Sa mère, bretonnante, utilisait généralement un français impeccable appris à l’école supérieure de Lannion. A la maison, vivait aussi sa grand-mère maternelle, très dévote, qui connaissait des oraisons de guérison et les herbes médicinales. Elle ne parlait qu’en breton – de Kaouenneg – à Nestig. Elle déclarait que c’était pitié d’encombrer la tête du petit avec ce fichu français ! A la veillée, elle lisait à son petit-fils, des vies de saints en breton, celle de Sainte Genovefa par exemple. Nestig avait été inscrit par sa famille aux leçons de catéchisme en français mais il se mit à suivre aussi le catéchisme en breton de ses camarades et fut bientôt capable de prier et de chanter des cantiques en breton, et même de lire les vieux livres de sa grand-mère. A huit ans, il racontait déjà des contes où pullulaient de terribles animaux pour faire peur à son cousin Yannig !

A 12 ans, Ernest fut émerveillé par le dessin qui ornait, sous le mot Breizh, la couverture de son cahier d’écolier : un breton en costume traditionnel contemplant une chapelle, la lande et la mer. Nestig, inspiré par sa sensibilité déjà druidique, y ajouta un croquis de chêne et un petit poème dont voici la traduction : O Breizh, pays adoré, / combien je t’aime ! Je ressens que je suis profondément attaché à toi. / par les racines de ton dur chêne. Les leçons d’histoire enchantaient Nestig. Sa tante Tintin Marie, courageuse laveuse de linge, bretonnante fière de sa langue, racontait à Nestig des contes populaires. Nestig put pratiquer le breton dans la cour de récréation de l’école de Caouennec, bien que la langue soit proscrite en classe. Au décès de la grand-mère, la famille déménagea à Lannion. Dans un cahier, Nestig notait scrupuleusement les événements historiques que lui décrivait leur voisine, une noble demoiselle, descendante de Jean de Beaumanoir, chef des bretons lors du combat des Trente. Deux ans plus tard, la famille se fixait à la Roche-Derrien et Ernest partait en pension à Lannion.

Adolescent, il prenait plaisir à faire de joyeuses escapades à bicyclette avec des camarades mais restait follement épris de lecture, émerveillé par exemple par l’œuvre d‘Anatole Le Braz, disant avec humour « Par le Grand Anatole, je fus influencé, Grandement » ! Au cours de son service militaire dans la marine, Ernest se lia d’amitié avec le rennais Roger Praud, passionné par la langue bretonne, futur barde Pradig du Gorsedd, qui lui fit découvrir, à Cherbourg, la revue Gwalarn !

Influencé probablement par le souvenir de son grand-père paternel qui faillit devenir prêtre, Ernest fréquentait beaucoup d’ecclésiastiques et envisageait d’enseigner en école libre.

 C’est à Mur-de-Bretagne, où il fut nommé instituteur, qu’il rencontra son âme sœur. Le mariage de Suzanne et Ernest eut lieu le 15 septembre 1942. Ernest adopta de corps et d’âme la contrée de son épouse. Ce couple courageux, heureux, faisait bénéficier de sa grande générosité famille et amis. Roh-Vur fut un père très aimant et très doué pour s’occuper d’enfants. Il leur apprenait ses deux langues et leur transmettait la culture bretonne, dont le port du costume traditionnel : lors du gorsedd de 1958 à Mûr de Bretagne, sa fille Annaïg défila en son bel habit breton. Tous les dimanche matin, il leur apprenait des chants traditionnels bretons. Lors des promenades familiales, souvent élargies à des amis, et à leurs enfants, tel Dominique Hueber – qui m’a dit être allé à l’école d’été d’Ernest – Il faisait découvrir les paysages, leur histoire, leurs légendes, ainsi que les animaux qui vivaient là !

Il me faut retracer la vie du fils aîné qui marqua la famille. Il naquit alors qu’Ernest avait 26 ans. Dans une petite maison jaune de Mur attenante à la ferme des beaux-parents d’Ernest. A la mairie, l’heureux père dut se fâcher pour que le secrétaire de mairie de Mur acceptât que le bébé fût prénommé Erwan, un prénom breton, hors la loi ! Ernest donnait le biberon, ajoutait des jus de fruits qu’il pressait lui-même, et emmenait le bébé en ses promenades dans les bois, par tous les temps ! Pour qu’il apprenne à apprécier la Nature ! Puis le petit Erwan fut scolarisé dans le classe de son père Ernest. Bien plus tard, alors étudiant en médecine, Erwan fut reçu barde du Gorsedd. Il passait des vacances en Cornouaille pour apprendre anglais et cornouaillais chez le Grand Barde Pauley-White. Ce dernier déclara à Roh-Vur : « Ton fils sera le lien entre nos gorseddau ». Hélas, Dieu rappela Erwan auprès de lui, juste avant qu’il ne puisse soutenir sa thèse. La foi en Dieu aida Ernest et Suzanne à continuer à vivre en portant ce deuil terrible. Roh-Vur avait confié à des amis que la vision du soleil magnifiant la vie des champs de blé et des fleurs sauvages, l’aidait à croire en la continuité de la Vie malgré ce grand malheur. Bien sûr, Ernest fut aussi un papa extraordinaire pour ses deux filles qu’il avait beaucoup aidées dans leurs études. Suzanne fut aussi une maman extraordinairement aimante.

Ernest Le Barzhig fut comblé par ses filles Annaïg et Gwenola, et par son gendre Yvon Abiven, qui prolongeaient sa passion pour la culture bretonne, et en particulier la langue bretonne de ses ancêtres.

Chez les Le Barzic, malgré leurs modestes revenus, c’était porte et table ouvertes ! Des amis venaient de partout (prêtres, enseignants). Suzanne savait assurer l’intendance au niveau des repas. Lorsqu’Ernest s’isolait dans son bureau ou allait aux archives de Rennes, Suzanne assumait la gestion de la joyeuse petite famille. Ernest le Barzhig n’avait pas passé le permis de conduire. Lorsque le fils aîné Erwan était de ce monde, il conduisait la voiture pour emmener famille et amis en balades. Yvon Abiven et Annaïg Le Barzhig conservent précieusement en leur mémoire les souvenirs heureux de ces promenades en famille. C’était l’occasion d’aller voir des amis prêtres (à l’Ile Grande, ou à Loguivy de la Mer), des amis enseignants, les amis de Bégard, Buhulien, de La Roche-Derrien où tout le monde connaissait Ernest. C’était l’occasion pour lui d’enquêter sur l’évolution du parler breton de son enfance. Il enquêtait également sur le breton vannetais, qu’il avait parlé avec le père de son épouse, de Cléguérec, et lors de promenades à St Aignan ! A Rennes, il rencontrait des adeptes du breton littéraire, tels Alan Louarn, Pêr Denez et Alan Bouessel du bourg.

Roh-Vur multipliait les cercles d’amis tout autour de lui, des camarades de toutes provenances, de tous milieux. A son domicile, des voisins, des parents éloignés, des amis, viennent les voir, lui et son épouse. Ernest avait un Esprit ouvert, écoutait toujours son interlocuteur avant de donner son avis. Il conversait aussi bien avec les enseignants des écoles libres qu’avec des instituteurs de l’école laïque ! La famille fit plusieurs voyages à l’étranger, en particulier au pays de galles et en Cornouailles, occasions de revoir des amis bardes d‘outre-manche ! Jean-Jacques Hueber n’était pas breton, peu intéressé par la religion, mais il devint pourtant l’un des meilleurs amis d’Ernest, cet être si tolérant. Dominique Hueber se rend compte de la chance qu’il eut à recevoir d’Ernest, tant de graines de culture bretonne qui ont contribué à la construction de sa propre personnalité ! C’est lui, le jeune Dominique qui conduisait lorsque son père Jean-Jacques et Ernest, devisaient gaiement en partance pour une balade culturelle. Ces deux amis devaient bien se placer afin que leur bonne oreille respective se trouvent du côté du locuteur. Ernest était presque sourd d’une oreille, abîmée lors d’un tir de canon pendant son service militaire. Lorsqu’aujourd’hui le Docteur Hueber guide des amis dans les environs, il s’appuie sur les savoirs qu’il reçut d’Ernest.

Ernest le Barzic adorait sa mission d’enseignant. Il préparait ses cours avec soin, mais dès qu’il professait, le conteur, le passeur de culture, enseignait avec naturel.

Le père de M. Le Maire Hervé Le Lu, Jean Le Lu, fut l’élève d’Ernest Le Barzhig et il se souvenait de Monsieur Le Barzhig lorsqu’il entrait dans sa classe, toujours avec calme et sérénité. Par sa stature, sa prestance, il installait son autorité bienveillante. Comme l’élève Jean Le Lu avait appris son catéchisme en breton, Monsieur Le Barzhig adorait deviser avec lui.

Ce maître de Mur-de-Bretagne n’appréciait guère la pédagogie surfaite des journées pédagogiques organisées par les inspecteurs : écoutons-le nous narrer ce qu’il fit avec ses camarades blasés par les discours sur la « pédagogie moderne «  nous laissâmes nos collègues châtrer les vers de terre et nous nous dirigeâmes discrètement, avec une bouteille de cidre bien frais dans un coin retiré du jardin de l’école, pour éloigner nos oreilles de l’hypocrisie des pinailleurs. »

Dans ses nouvelles, Roh-Vur excelle à parler des enfants. Il a écrit de nombreuses nouvelles à propos d’enseignants. Il s’intéresse à l’histoire des écoles où il travaille. Il publiera par exemple celle de l’école Saint-Joseph de Quédillac.

Suivons rapidement la carrière d’Ernest Le Barzic :

D’abord nommé à l’école privée chrétienne de Saint Louis de Mur (1938), il poursuivit en tant que maître d’école à Bégard (en 39), Maël-Carhaix (en 41) et à nouveau à Mur-de-Bretagne en 1942. En 51, il se fit nommer en Charente-Maritime (à Pont-l’abbé-d’Arnoult) dans une école dirigée par son ami Roger Praud. Motivé par un poste à responsabilité, il prend la direction de l’école Saint-Joseph de Quédillac en 52. En 57, la famille décida de se rapprocher d’une grande ville pour faciliter le cursus universitaire des enfants. Les Le Barzic trouvent un logement au 26 avenue Monseigneur Mouezy à Rennes. Ernest devient professeur au collège Ste Marie (2 années), poursuit comme professeur de français et d’anglais au collège Saint-Martin, et enfin termine son cursus rennais par le collège de l’Adoration jusqu’en 1974.

On le mit alors à la retraite anticipée en juillet car sa santé était devenue trop fragile. La famille repartit à Mur de Bretagne, rue Kervos – rebaptisée maintenant en l’honneur d’Ernest Le Barzhig – où malheureusement il allait mourir trois ans plus tard, début décembre 77. Quelle perte pour nous tous de voir cet écrivain prolifique mourir au faîte de sa force créatrice. 

Ernest Le Barzic déclara un jour à son gendre Yvon « J’ai la foi du charbonnier ! ».  Sa pratique était naturelle et n’était point démonstrative.  Sa foi était vécue en famille, à l’école chrétienne et à l’église.   Peu à peu, Ernest s’intéressa à la philosophie druidique, proche selon lui, de l’humanisme chrétien.  Historien, il savait que les premiers saints de notre région étaient bien souvent des druides.

Ernest ar Barzhig adhèrera à trois organismes qui résumaient les faces ternaires de l’humanisme dont il rêvait : l’Ordre des Chevaliers de St Jean de Jérusalem (pour la religion), la Fédération Régionaliste de Bretagne en 1941 (pour la réflexion sur la gestion de la région) et la Fraternité des Druides, Bardes Ovates et de Bretagne en 1948 (pour la culture historique et philosophique).

Dans les années 30, il découvrit dans Ouest-Eclair la Gorsedd de Pontivy et celle de Roscoff (34)   A 20 ans, il se rendit à la Gorsedd de Perroz où tout l’enchanta !

Il assista discrètement au dépôt de gerbe par Taldir au monument du rochois Narsis Kelien.   En 38, Ernest publie son premier écrit dans Breizh.

En 48, le grand-druide Taldir fut enthousiasmé par la lecture de « Mûr de Bretagne et sa région », et proposa à Ernest une place parmi les bardes. 

En septembre 48, Ernest est invité à la Gorsedd kuzh de Rennes, où il fut officiellement nommé barde. Son nom bardique, Roh-Vur, résume sa vie, à cheval sur deux terroirs, Roc’h, pour la Roche-Derrien de son enfance, et Mur pour la commune de son épouse Suzanne.

Ernest n’apprécia pas la prise de parole de Berthou-Kerverzhioù qui prêchait pour le retour du paganisme. Enthousiaste, Roh-Vur passa un diplôme d’études celtique avec mention. Il progressa en gallois, aidé par le professeur Falc’hun, fit des enquêtes de terrain sur le vocabulaire de la ferme (pour Pierre Trepos) et décrocha un diplôme d’études supérieures en 1950.

Bientôt, on demanda à Roh-Vur da corriger les textes en breton de la revue du Gorsedd, Tribann.

En 59, Roh-vur établit un choix de poèmes du vieux barde Césaire le coënt Mab Loïz. Roh-Vur avait aimé la poésie d’une gorsedd organisée près de Paimpont où les bardes furent conduits sur site dans des chars tirés par des bœufs.

En Mai 56, Roh-Vur fut nommé druide du Poellgor. On le chargea d’écrire un long discours sur Ab Hervé pour la Gorsedd digor de St Brieuc (1956). Son excellente étude fut publiée par la confrérie des bardes

En 1958, Roh-Vur proposa que le Gorsedd digor soit organisé à Mur de Bretagne. Dès avril, il s’attela aux préparatifs, fit le choix du lieu précis de la Gorsedd près de la chapelle sainte Suzanne. La Mairie accepta de prêter des salles pour les réunions des bardes et les expositions.   Roh-Vur fit appel à des collégiens volontaires qu’il avait eu comme élèves à l’école pour l’aider à installer les infrastructures.

Il reçut un sacré coup de main du président du Syndicat d’initiatives, M. Cléret, qui dirigeait la carrière de Trévejean. Celui-ci offrit gracieusement les pierres du Cromlec’h, et le coût du conducteur d’un bulldozer ! C’est donc à 5 h du matin que se retrouvèrent Roh-Vur, l’ouvrier et les cantonniers pour installer la maen-log et les peulvanioù ! Quelle surprise pour les villageois de découvrir à leur réveil ce site mégalithique contemporain qui témoignerait à jamais de la présence druidique ! Roh-Vur fit acheter des drapeaux bretons et des rubans d’hermines pour décorer les rues. Les frères et sœurs vinrent nombreux, de partout, de St Malo, et même du Maroc. Des harpistes accompagnaient la délégation Nantaise. Le samedi soir, on attribua des prix littéraires en l’honneur de Taldir. Pour une gwerze en breton, Roh-Vur reçut en récompense une croix celtique en faïence qu’il suspendit à jamais au-dessus de son lit !  Le dimanche, après s’être vêtu des habits bardiques à la Mairie, les membres de la confrérie défilèrent derrière le garde-champêtre. Comme le père Alexis, aumônier de la gorsedd, n’arrivait pas à l’heure prévue – parce qu’il suivait l’heure solaire – le recteur de Mur, « Tonton Selest » accepta, en ronchonnant, de conduire l’office à sa place. Enfin, le grand moment arriva, le grand-druide Eostig Sarzaw monta sur le maen-log. Un jeune étudiant qu’Ernest avait beaucoup aidé, ouvrit la cérémonie au son de son biniou-bras. L’exposition littéraire qui avait été préparée par Roh-Vur eut un grand succès.

En tant que barde-hérault, Roh-Vur veillait au bon déroulement des rites de la Gorsedd. Il tissait des liens forts avec ses confrères de Galles et de Cornouailles. Dans les années 60, c’est Roc’h-Vur qui était le « maître des examens » pour la gorsedd. C’est lui qui interrogea le disciple et futur grand-druide Gwenc’hlann ar Skouezeg. Avec Georges Pinaut, c’était plus tendu. Un jour où il accusait en français Roh-vur d’utiliser du breton de cul-bouseux, Roh-Vur répondit : Je m’en fais honneur et gloire ! Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

Ernest Le Barzhig appréciait d’aller se promener seul dans la campagne.

Lorsqu’il se préparait à partir en promenade, il revêtait un habillement assez distingué : Bottes hautes, pantalon de cavalier, gilet, cravate et belle veste, béret basque, et grande cape noire. Prenant son bâton de marche, en route. Sur les chemins, Roh-Vur sentait en son cœur une profonde gratitude pour la Création ! Il s’était attaché au pays de son épouse Suzanne.

Il déclara même : «   Les bois de Mur de Bretagne sont pour moi le Paradis sur terre !

Il vouait une grande passion à la Nature. Ce n’était pas précisément un spécialiste des propriétés thérapeutiques des plantes mais il s’efforçait de manger sainement, des produits naturels. Par exemple, il mangeait chaque jour une cuillerée de blé qu’il faisait germer lui-même !

Ernest Le Barzhig était un écologiste avant l’heure. Il expliquait une manière raisonnée de remembrer : pour lui, on pouvait supprimer quelques petites haies qui morcelaient à l’excès les parcelles suite à de multiples héritages mais il soulignait qu’il fallait conserver les talus ancestraux tout autour des champs une fois agrandis, pour préserver la biodiversité et protéger le bétail.

Bien sûr, tous les arts intéressaient Ernest.  En sa jeunesse, il avait joué du banjo. Pour se distraire, il aimait écouter de la musique classique, des chœurs interprétant des cantiques bretons ainsi que de la musique traditionnelle bretonne. Par contre, il chantait peu.

Roh-Vur s’intéressait bien entendu aux artistes qui témoignaient de la beauté et de la variété des paysages, des aspects particuliers de notre culture. Sa préférence allait aux peintres qui représentaient avec émotion des scènes du XIXème. Camille Corrot, qui comme lui, avait arpenté notre région lui plaisait beaucoup. Une de ses toiles préférées fut Le Portail de la Chapelle Sainte Suzanne à Mûr-de-Bretagne. Ce tableau reflète la philosophie de Roh-Vur, un syncrétisme entre la philosophie du druidisme (les chênes) et la foi catholique (le portail de la chapelle). Roh-Vur ne prenait pas de photos des paysages observés pendant ses promenades, mais parfois, à l’occasion, il faisait quelques croquis.

Le druide Roh-Vur s’intéressait aux mégalithes anciens.

Mais il se gardait de toute celtomanie. Les mégalithes sont assez remarquables dans le secteur élargi de Mur. Peu porté sur les fées et les korrigans, ou toute idée de marqueurs de courants telluriques, il se plaisait à imaginer la vie réelle au néolithique.

Ayant l’intuition que les menhirs avaient pu servir de majestueux poteaux indicateurs, Roh-Veur adhéra volontiers à l’hypothèse de son ami Jean Lody de Rostrenen selon laquelle les menhirs auraient indiqué les sites métallifères.

Sur le plateau de Ménéheiez, à Mur, il a repéré une large pierre triangulaire, qu’il qualifie de druidique, l’associant à la disposition en triangle de trois fontaines et à la forme ternaire des triades poétiques.

Dans la vie de Roh-Vur, tout concourait à le rendre écrivain : Ses impressions face à un paysage attisaient son goût pour le verbe, écoutons-le : « La brillante représentation de l’aube se donne pour moi seul, il règne une évangélique douceur, l’air est vierge comme aux premiers jours du monde. »

L’étude précise de toutes les œuvres d’Ernest Le Barzhig nécessiterait le cadre d’une thèse de doctorat. La plupart de ses œuvres ont été éditées et rééditées après sa mort. Certains livres sont disponibles en librairie, ou sur des sites de livres d’occasion et même sur des sites internet en PDF.

Achevons notre conférence par un court voyage au cœur de l’œuvre de Roh-Vur :

Pour présenter rapidement ses écrits, je vous propose un classement de ses 26 œuvres principales en 7 catégories :

1ère catégorie : Ernest a publié des textes, presque toujours en breton, dans de nombreuses revues et journaux : Breizh, Brud, Brud Nevez, Barr-Heol, Al Liamm, Dihun, Hor Yezh, Skol, An Tribann. Principalement des contes et nouvelles et parfois quelques poèmes.  (Un prix littéraire lui fut attribué par le département des Côtes-du-Nord en 1950 pour l’ensemble de ses articles et nouvelles).

2ème catégorie : 5 Livres de contes ou nouvelles (en majorité autobiographiques).

Citons Kôzioù Tintin Mari, réécriture de contes que lui racontait sa tante pendant son enfance.

Recueil qui reçut un prix de la Gorsedd) 1964 (1979)

Kalonoù tregeriat (1979)

Des recueils de contes et nouvelles autobiographiques :

 Buhez ha faltazi (1970 Emgleo Breiz) ademb 1984)  

 Minna ha danevelloù all (Hor Yezh 1988)

Un livret de souvenirs autour de la Gorsedd : Eñvorennoù ur.barzhig HY 1982

Roh-Vur dédiait souvent ses nouvelles à ses enfants, à ses petits-enfants, ou encore à un ami.

L’esprit de sa tante Marie, conteuse traditionnelle, irradiait ses nouvelles en breton.

Roh-Vur écrivait en breton en priorité pour les bretonnants natifs, pour les moins lettrés, en une langue la plus proche possible du breton parlé, porté par ce constat qu’il avait fait :

« Le peuple ne lit pas en breton parce que ce n’est pas SON breton, qu’on lui propose de lire ! »

Il démontrait que la vie de gens simples, des milieux populaires, permettaient de comprendre l’ensemble de la société, la grande histoire même. C’est pour cela qu’il s’intéressait au matelot, au mendiant, au paysan, à l’humble prêtre. Lorsqu’il faisait courir sa plume, c’était encore un vrai conteur. C’était un maitre… de l’oralité écrite !

Roh-Vur aime s’adresser directement à son lecteur ! En lui disant par exemple, regardez donc derrière ce buisson, là, et vous apercevrez un chevreuil, un sanglier ou un écureuil !

Dans une seule nouvelle, j’ai trouvé une inspiration totalement druidique : Roh-Vur nous raconte dans ce récit qu’au cours d’une promenade, il avait rencontré Korrix, le roi des korrigans. Celui-ci tenait en main l’épée d’Arthur et se mit à adouber Ernest pour qu’il devint son chevalier en déclarant : « Par le pouvoir de Kaledvoulc’h, Excalibur, soit généreux et sans peur ! « C’est alors dit-il, que l’oeil du soleil, se reflétant sur la lame, lui brûlant les paupières, interrompit son rêve de promeneur assoupi !

Ses qualités littéraires rassemblant émotion, humour, légèreté et profondeur, et son style agréable, conduisaient le lecteur avec aisance vers un dénouement assez souvent étonnant.

3ème catégorie : 5 traductions de récits d’aventures historiques :

Le professeur Pêr Denez, de l’université de Rennes, avait commencé en sa jeunesse à effectuer des traductions en breton des ouvrages de Paul Féval. Il sollicita de Roh-Vur qu’il reprenne ce travail afin de pouvoir publier une collection de livres en excellent breton, littéraire soit, mais enrichi d’un bain de langue parlée. Il s’en est suivi une collaboration fructueuse entre les deux amis.

Ar bleiz gwenn, skol, Le loup blanc, Skol, 1977

Boudig an Aod, La fée des grèves, Mouladurioù Hor Yrezh, 1987

D’an hini gaerañ, A la plus belle Skol, 1977 

Ar Vleizez, La louve, 1995, Hor Yezh

Valantina a Roc’han, Valentine de Rohan, Skol,1980 (suite de la Louve)

4ème catégorie :  7 livres.

En français, Ernest Le Barzhig a écrit une série de monographies que lui inspiraient les paysages, les bâtiments, et l’histoire des lieux :

« Histoire d’une école depuis 1854 », Ecole Saint-Joseph, de Quédillac (dans Bulletin du Doyenné de Saint-Méen) 1954.

La Roche-Derrien et ses environs, et le Barde Narcisse Quellien, 1955.

Loguivy de la Mer, perle d’Armor, et son écrin : le Goëlo, 1969

Plusieurs ouvrages et rééditions sur le secteur de Mur de Bretagne :

Mûr-de-Bretagne et sa région, 70 p, 1947 augmenté lors de la réédition de 1957 (400 p).

Images de la Bretagne centrale, dépliant, 1950

En Suisse bretonne (région de Mur), 1965

L’île-Grande, Enez-Veur, et ses environs (1972)

Roh-Vur, bretonnant certes, excellait aussi dans l’usage de la langue française ! Portait de plus de l’intérêt à la troisième langue de sa région, étudiant aussi le gallo. Véritable linguiste, il se passionnait d’ailleurs pour toutes les langues du monde !

C’est en français, pour toucher un maximum de personnes, qu’il décida de rédiger ses guides touristiques littéraires ! De par ses études classiques en français et en latin, il écrivait en un français parfait, parfois très soutenu, toujours très agréable. Il travaillait énormément en amont, furetant dans les archives, lisait tout ce qui avait été écrit auparavant sur son sujet. Pour les chapitres consacrés aux parlers bretons locaux, il procède à un collectage de vocabulaire sur le terrain même, en interrogeant des informateurs âgés !

Ernest disait : « Ar c’hlask a zo stank / Ar c’haved alies a vank. »

« Les recherches sont souvent nombreuses, mais plus rares. Les trouvailles. »

Il truffe ses textes français de belles citations d’écrivains célèbres.

Les ouvrages touristiques d’Ernest sont très complets : il y présente l’histoire de la commune, l’architecture, la période contemporaine, l’économie, les pratiques culturelles

Il propose le fonds légendaire, et étudie les faits religieux. Le lecteur est invité à effectuer de multiples balades en suivant les instructions détaillées. Il a écrit des pages très poétiques au sujet de l’Ile-Grande et de Logivy-de-la-Mer. Dans ces guides touristiques en français, Roh-Vur attribuait une place de choix à la langue bretonne : noms de lieux étudiés avec rigueur, surnoms, et parfois même, citations de quelques vers ou un poème en breton.

On se régale en lisant Roh-Vur lorsqu’il éudie le Tunodo, l’argot de la Roche-Derrien. Il y compare l’inventaire réalisé naguère par Narcisse Quellien au vocabulaire qu’il avait lui-même glané plus tard, notamment auprès de son propre, père, qui était aussi un Rochois. Il arrive fréquemment à Roh-Vur de semer en ses nouvelles quelques mots de l’argot Tunodo, comme « tiar’ (kozh, vieux), « un dornad » – (une poignée) pour « un toullad krampouezh », une pile de crêpes.

Dans son livre sur Mur-de-Bretagne il fait l’inventaire des bribes de langue bretonne encore connus à la frontière de l’aire bretonnante, et l’influence de la langue gallèse.

5ème catégorie : 2 livres consacrés à des familles en lien avec lui :

Sur les traces d’une vieille famille bretonne (les Crec’hiou), 1969

A St Malo les Magon

Pour raconter sa Bretagne, il analyse en priorité la vie des familles qui la constituent ! Familles très humbles et familles nobles. Aidé par son fils Erwan, il étudia la vie de la famille de sa grand-mère paternelle, les Krec’hioù, de petite noblesse. Plus tard, il s’intéressera à une famille dont la noblesse était historiquement illustre, la famille Magon.

6ème catégorie :

3 livres consacrés à des personnages qui, pour lui, furent des éléments importants du mouvement breton, et surtout des humanistes :

Jean Choleau, son œuvre, et La Fédération régionaliste bretonne 

Le général comte Yves de Boisboissel, barde de bretagne (1967)

François Vallée-Abhervé, grammairien et lexicographe, sa vie, son œuvre, 1956.

Roh-Vur présentait toujours avec bienveillance les œuvres des écrivains qu’il étudiait.

7ème catégorie : 4 livres dont les personnages sont confrontés à l’histoire, aux grands courants tels que l’impérialisme, le nationalisme et le communisme.

Loeiz Lezongar, roman original en Langue bretonne, permettant à notre auteur d’évoquer les procès qui secouèrent le monde culturel breton à la Libération. (1968)

 Roh-Vur était très sensible à ce que la justice soit parfaitement équitable.

Ma emgann evit Iwerzhon, la traduction de l’autobiographie du nationaliste Dan Breen, (Skol, 1978)

Mougev an drouiz : La caverne du druide, traduction d’un livre d’aventures de Aodh de Blacam, où les jeunes héros sont propulsés à l’époque antique des premiers habitants d’Irlande, où ils rencontrent druides et rois celtes libres, affrontent les méchants Fomores, Les jeunes héros vivent ensuite à l’époque où les irlandais cherchent à se défaire de la tutelle britannique. Dans ce livre, Roh-Vur ajoute des notes sur l’étymologie de certains mots gaéliques. Il insère dans son délicieux breton quelques mots de tunodo.

Ar Barzhig a effectué une traduction en breton de la nouvelle de Soljenitsyn, La maison de Matriona. PH 101 Parue sous le titre Ti Vatriona (1976).   En décrivant la vie d’une femme menant une vie exemplaire en pleine absurdité due aux injustices d’une société totalitaire, il réalise à mon avis son bijou littéraire.

Avec amusement, il déclara à un ami, « peut-être ne suis-je plus un auteur, peut-être suis-je devenu un traducteur ! »  

Ernest Le Barzhig a transcrit sa savoureuse langue bretonne dans deux orthographes différentes. Les modes et querelles autour de ces orthographes ne lui importaient guère.

Roh-Vur est parvenu sans difficultés à se forger une langue bretonne mêlant, avec un juste équilibre, le breton populaire vivant et le breton littéraire moderne, favori des néo-bretonnants.

A la fin de sa trop courte vie, Roh-Vur avait des problèmes de cœur, et des douleurs lui laissaient présager que son temps d’écrivain était compté.

Il expliqua alors à son gendre Yvon Abiven qu’il préparait la réédition de son ouvrage sur la Roche -Derrien, mais que ce serait son dernier travail en français. Qu’enthousiasmé par les efforts de son gendre et de sa fille Gwenola pour développer l‘enseignement Diwan, il n’écrirait plus qu’en breton. Que de textes intéressants pour les élèves bretonnants il aurait créés, s’il n’était décédé dans la période d’inauguration de la classe portée à bouts de bras par Yvon et Gwenola !

Le 2 décembre 1977, à 60 ans, l’âme de Roh-Vur quitta son corps, pour l’autre Monde, celui des Trépassés. Suzanne Le Barzic (née Le Custumer), avec courage et détermination, parvint tout au long de sa vie à animer cette famille unie malgré les deuils qui l’ont frappée : décès du fils aîné Erwan en 1965, décès de son mari Ernest en 1977, puis décès de sa fille Gwenola deux ans plus tard dans un accident de la route.

Selon Ernest Le Barzhig, les âmes invisibles restent à proximité des êtres aimés. Et pour nous, lecteurs vivants, son âme vibre encore dans les belles œuvres qu’il nous a léguées.

Dans ses chefs-d’œuvre, il fait courir sa plume, en breton ou en français, d’une manière experte mais jamais ampoulée, en flots d’expressions vivantes autour de sujets passionnants.

C’est pourquoi Je vous invite à cheminer sur les traces du généreux promeneur de Mur.

Méditez en Bretagne avec Ernest Le Barzhig, vous gagnerez en sagesse, c’est sûr

Lisez, relisez, en français ou en breton, les ouvrages du druide Roh-Vur.

Et c’est Ernest Le Barzic, lui-même, qui va conclure cette présentation, en vous adressant ce sage conseil : (traduction en français de sa déclaration en breton:)

En restant toujours main dans la main,

Cœur contre cœur,

En nous aimant, l’un l’autre,

Adviendra bientôt une glorieuse Bretagne !